- SIKKIM (archéologie et art)
- SIKKIM (archéologie et art)Le Sikkim occupe, dans la partie orientale de l’arc formé par l’Himalaya, une superficie de 7 298 kilomètres carrés. Le pays est encadré par deux projections montagneuses issues du plateau tibétain: à l’ouest, le Sangalila, dominé par le Kanchenjunga ou Kangchendronga (8 597 m), forme la frontière avec le Népal et, à l’est, la chaîne du Chola sépare le Sikkim de la vallée du Chumbi et du Bhoutan. Au nord, la ligne de partage des eaux entre les affluents de la Tista et ceux du Mo-chu trace une démarcation avec le Tibet. Le Sikkim descend au sud vers les plaines du Bengale occidental.Le pays se déploie comme un amphithéâtre d’une beauté grandiose composé de vallées orientées nord-sud au fond desquelles coulent la Tista, la Rangit et leurs affluents.Une histoire encore obscureQuelques rares fouilles ont livré des témoins de la période néolithique sous forme d’outils taillés comparables, semble-t-il, à ceux qui ont été trouvés au Bhoutan, témoignages d’une même civilisation dont les différents aspects n’ont pas encore été élucidés.La population autochtone lepcha est installée depuis des temps immémoriaux; elle ne possède malheureusement ni documents ni tradition orale.L’histoire du Sikkim se précise à partir du XIIIe siècle avec la venue d’un prince tibétain bouddhiste, aussitôt accepté comme souverain par les Lepcha. Sa famille et son entourage forment le premier noyau de la population bhotia qui, au cours des siècles, fusionna avec les Lepcha. En 1641, Phun-tshogs rNam rGyals (Puntsok Namgyal), descendant du fondateur de la dynastie, reçut une double investiture, comme roi et chef religieux, par trois lamas venus du Tibet: Lha-btsun chen-po, de tradition rDzogs-chen-po, Sems-dPa’chen-po, de tradition Ka’-thog-pa, Rig-’jin chen-po, de tradition nNga’-bdag-pa (branches de l’école rNyingma-pa, traditionnelle au Sikkim). Le roi reçut le titre de Chos-rGyal (Chö gyal) porté désormais par tous les souverains du Sikkim.Un art essentiellement religieuxL’art du Sikkim n’apparaît véritablement qu’avec le règne de Phun-tshogs rNam-rGyal qui, fervent bouddhiste, ordonna la construction d’édifices religieux. Les expressions esthétiques sont, comme dans tous les pays fortement bouddhisés, essentiellement liées à la religion.L’architectureL’architecture civile traditionnelle est sommaire (maisons lepcha et bhotia), ce qui n’exclut pas une recherche esthétique dans le traitement des jalousies qui reposent sur de fines consoles, dans l’ornementation des chambranles, les treillis de bois, les ouvertures polylobées derrière lesquelles glissent des volets pleins.L’architecture religieuse a connu un grand développement illustré par les monastères, les temples et les mChod-rTen (st pa ).Les monastères et les templesLe Sikkim compte soixante-sept monastères; le plus ancien, Hum-ri, fut construit au début du XVe siècle par un lama tibétain lors d’un voyage dans le pays. Il fut reconstruit en 1955. sGrub-sde gsang snags (Dubde), construit en 1644 par Lha-btsun chen-po, mKha’-spyod dPal-ri (Katch 拏 Palri), construit en 1682, Mel-li et bKra-shis-sding (Tashiding), construits à la fin du XVIIe siècle, sont parmi les plus anciens de ces monastères; ils furent souvent remaniés au cours des siècles.Les monastères les plus importants par la taille et le rôle sont Padma Gyang rtse (Pemayangtse) et bKra-shis-sding; le premier, fondé en 1704, reconstruit dans les années 1930, fut conçu par le roi Phyag-rder rnam-rGyal (Tchador Namgyal) sur le modèle de Mind 拏ling au Tibet (sMin-grol-gling) et supervise tous les monastères rNying-ma pa du Sikkim; son abbé consacre les souverains du royaume.bKra-shis-sding, situé sur un promontoire au confluent des rivières Rangit et Ralung, est de tendance nga-dag-pa; fondé à la fin du XVIIe siècle, l’ensemble est d’une apparence saisissante; il comprend trois grands temples, une forêt de mChod-rTen et des mendong , longs murs de pierre sur lesquels est gravée la célèbre formule om mani padme hum , qui s’adresse au bodhisattva Avalokite ごvara. Ce mantra (formule magique), que l’initié récite mais qui n’a pas de signification pour le profane, est composé de syllabes dont la valeur est purement symbolique. Ce lieu est tous les ans le centre d’un grand pèlerinage.À un petit nombre d’exceptions près (le temple de Enchey à Gangtok, flanqué de quatre tours carrées, le Chos rGyal Lha-khang à bKra-shis-sding, cruciforme), les temples sont construits sur plan carré ou barlong. Ils s’étendent sur deux niveaux et sont surmontés d’un lanternon. Les murs en pierres appareillées sont généralement recouverts d’un enduit blanc agrémenté sous le toit d’une bande rouge brique. Ils ont un fruit accentué vers le haut. À l’étage sous le toit, les rangées de têtes de poutres sont peintes de couleurs vives. Sur la façade, une porte de bois peint ouvre sur le vestibule. Une véranda de bois court au premier étage; on y accède par une échelle. Au rez-de-chaussée se trouve la salle de réunion (dus-khang ), destinée aux prières et aux cérémonies. Le sanctuaire proprement dit (lha-khang ) est situé au premier étage. Il arrive que le bâtiment comporte un second étage (temple du palais à Gangtok).Les temples importants possèdent des pièces annexes, et les monastères comportent, outre les édifices religieux, des bâtiments destinés à l’habitation des moines et à leurs activités. Le monastère de bKra-shis-sding, celui de Padma Gyang rtse, et celui de Rum-btegs (Rumtek) construit pour le chef du monastère, le hiérarque Karmapa, en sont des exemples.Les monastères et les temples sont généralement très décorés. L’ornementation des portes, des fenêtres, des balcons, des vérandas ainsi que celle des colonnes, des chapiteaux, des soutiens d’entablement et des caissons est extrêmement soignée. Les chambranles des portes, qui sont toujours en bois, sont garnis d’une grande variété de motifs géométriques ou végétaux. L’un des motifs géométriques les plus représentés est un dérivé de la ligne brisée: il est formé de la juxtaposition de petits carrés peints ou sculptés donnant l’impression de la profondeur et disposés en losanges. Ce motif n’est pas particulier au Sikkim, on le rencontre aussi au Ladakh et au Tibet central.Certains thèmes, dont un exemple apparaît à bKra-shis-sding, découlent d’une inspiration plus visiblement indienne: il s’agit de deux vases desquels partent des rinceaux de feuillage qui se rejoignent de part et d’autre d’un makara rappelant le motif bien connu du trône.Sur les linteaux se voit le même motif losangé, remplacé dans certains cas par un simple décor de carrés ou de cercles.Les têtes de poutres affectent parfois la forme de têtes animales, mais les poutres à contre-pente ne sont jamais motif à sculpture décorative, contrairement à la tradition népalaise.Les supports intérieurs des temples, parfois importants, ronds ou carrés, souvent cannelés ou à ressauts, sont surmontés de chapiteaux et de soutiens d’entablement inspirés de la tradition indienne ancienne qui développent, sur un tambour formé de feuilles de lotus, un double motif végétal schématisé d’une extrême finesse. Le monastère de sGrub-sde, celui de rNam-rtse (Namchi, 1731) en possèdent de remarquables exemples. Il arrive (rNam-rtse) que du chapiteau partent de grandes guirlandes qui couvrent la partie supérieure de la colonne, évoquant la tradition postgupta.Les balcons et les vérandas présentent une grande variété de jalousies composées de motifs décoratifs: croisillons, carrés, losanges qui reproduisent parfois le nœud bouddhique (rNam-rtse). Cette structure en bois est souvent peinte de motifs végétaux ou animaux, les couleurs de prédilection semblent être les bleus et les jaunes relevés d’ocre, de rouge et de vert.Les mChod-rtenLes mChod-rten, ou «supports d’offrandes», sont innombrables au Sikkim; construits en maçonnerie pleine, couverts d’un enduit blanc, ils sont surmontés d’ornements en métal doré.Les mChod-rten sont les évocations des huit monuments élevés sur les cendres du Buddha, ils illustrent les huit épisodes miraculeux de sa vie.Parmi les huit types de mChod-rten de la tradition tibétaine et sikkimaise, deux sont plus fréquemment reproduits, le mChod-rten de la descente du ciel et celui de l’illumination suprême. Le premier est formé d’une base cubique, sur laquelle repose une construction en forme de cloche surmontée d’un reliquaire orné de deux yeux (Lachung). Le second, le plus fréquent, comprend lui aussi une base cubique sur laquelle s’élève une construction bombée plus large au sommet qu’en pied (Yoksam). Le soubassement des mChod-rten est souvent orné de reliefs moulés ou sculptés dans la pierre (bKra-shis-sding).La sculptureLa sculpture sur pierre est peu pratiquée au Sikkim. Le panthéon bouddhique est parfois représenté sous la forme de statues en ronde bosse de taille importante, le plus souvent réalisées en argile modelée autour d’une armature, puis peinte ou recouverte de feuilles d’or. Les socles des statues sont fréquemment décorés d’une seule rangée de pétales de lotus arrondis et très simples. Les représentations plus importantes, comme celles du Buddha et des bodhisattva de Zil-gnon (Sinon), ont une base de lotus aux formes plus tourmentées. Elles furent probablement réalisées au début du XVIIIe siècle, époque de la construction du temple. Les trônes des divinités sont parfois népalisants, tel celui de Padmasambhava, à rNam-rtse: très dorés, ils ont une décoration très couvrante et semblent témoigner d’une véritable horreur du vide.Il arrive, mais le cas est rare, que les statues soient exécutées en tôle de bronze martelé; elles sont alors composées de deux morceaux assemblés par des éléments métalliques. Si la pièce est de très grande taille, sa réalisation exige la confection d’un nombre plus important d’éléments.Les statues de taille réduite sont fabriquées en bronze selon le procédé de la cire perdue.Toutes les représentations religieuses obéissent aux règles iconographiques et iconométriques.Les sculptures de bois sont rares, il faut pourtant mentionner les masques utilisés au cours des danses religieuses. Exécutés dans le bois de l’arbre sarouching , ils sont peints d’après les couleurs indiquées dans les textes liturgiques.La peinture muraleLes monastères sont décorés de peintures murales, aussi bien à l’extérieur sous les portiques et les vérandas qu’à l’intérieur des chapelles. Les peintures les plus anciennes se trouvent au monastère de Zil-gnon et sont datées du début du XVIIIe siècle. Leur composition est d’une grande variété: scènes en registres, ma ユボala , thèmes du bar-do (rite destiné à guider le défunt au cours des quarante-neuf jours qui séparent son décès de sa renaissance), divinités, personnages saints et historiques tels les fondateurs du lieu: Gnadak rinchen Gyen et dPaldan dbang - mo (Pedi Wangmo), dont les visages témoignent d’un sens aigu du portrait.Les sujets ne sont jamais isolés comme ils le sont au Tibet dans la peinture gelugpa tardive; au Sikkim, les détails foisonnent, la peinture est narrative. À Zil-gnon en particulier, la qualité des couleurs est remarquable: un très beau rouge brique et des bruns de différentes nuances se détachent sur le fond vert.Les artistes sont venus nombreux du Tibet au cours des siècles jusqu’à une époque assez récente; ainsi deux peintres tibétains respectivement originaires de Shigatse et de Gyantse furent-ils appelés en 1930 pour exécuter les peintures du Gtsug-lag-khang, le temple du palais de Gangtok. Comme leurs prédécesseurs, ils utilisèrent une base faite d’argile mêlée de sable, lissée en pellicule au moyen d’une pierre douce. Ils lui appliquèrent un enduit de craie et de colle qu’ils polirent avec soin, puis exécutèrent le contour au fusain et enfin apposèrent les couleurs. Sur les murs de bois, les artistes procédèrent par marouflage.Le premier de ces peintres forma un élève sikkimais, Rigdzin, qui dirigea la restauration des temples de son pays. Son style est marqué par celui du Tibet central. Le dessin est traité avec beaucoup de soin, les couleurs sont subtilement dégradées. Les peintures du monastère de Padma-gyang-rtse qui recouvrent les originaux de 1704 illustrent ces techniques. Certains temples, tel celui de Lacheng, au nord du pays, construit en 1858 puis restauré, possèdent des œuvres plus naïves dont les couleurs vives et contrastées sont apposées en aplats.Les artistes sikkimais réalisent aussi des thang-ka : peintures mobiles qui reprennent les mêmes thèmes que les peintures murales selon une technique pratiquement identique.
Encyclopédie Universelle. 2012.